- MOZABITES
- MOZABITESLes Mozabites, population du sud de l’Algérie évaluée au début des années quatre-vingt à quatre-vingt-dix mille individus, se définissent essentiellement par leur habitat géographique, le Mzab, et par leur doctrine religieuse: aux yeux des musulmans orthodoxes, ce sont des membres de la secte ib ボite. Dans le Maghreb, leur type physique, leurs activités spécialisées contribuent également à individualiser ce groupe social. Longtemps tenus pour des hérétiques et persécutés comme tels, ils s’intègrent aujourd’hui dans la communauté algérienne.Les Mozabites (ou Mzabites) occupent dans le Sahara septentrional et central, à une centaine de kilomètres au sud-est de Laghouat, un territoire de quelque 8 000 km2, la Chebka (en arabe, filet), nom qui désigne, au sens géographique, un paysage original de plateau calcaire déchiqueté, raviné par les vents de sable et par les eaux et parsemé d’entablements résiduels (gour). Cinq villes, groupées sur neuf kilomètres le long de l’oued Mzab, constituent le Mzab proprement dit.L’existence de cette pentapole remonte au XIe siècle après J.-C. El-Ateuf fut la première fondée (1011), puis vinrent Bou-Noura (1048), Melika, Beni-Isguen et, enfin, Ghardaïa (1053), aujourd’hui la ville la plus importante (20 000 habitants). Berriane et Guerrara, «colonies» de la pentapole, remontent seulement au XVIIe siècle. Ces créations urbaines, véritable défi à la nature, répondent seulement à des préoccupations religieuses et militaires: ce pays, propre à décourager les oppresseurs, fut choisi comme un refuge et une forteresse pour la foi menacée des ib ボites (ou ab ボites).La survivance d’une communauté religieuseLes Mozabites sont une communauté religieuse créée par l’énergie d’une petite secte, les ib ボites (ib ボiyya ); celle-ci constitue l’une des branches du kh ridjisme (al-khaw rij , les sortants), le plus ancien schisme de l’islam, qui fut un temps la doctrine au nom de laquelle les Berbères luttèrent contre les Arabes et redevinrent maîtres de la partie orientale du Maghreb. Pourtant, dès 761, les ib ボites du djebel Nefousa, qui avaient triomphé sous la conduite de leur premier im m Ab l-Kha b, perdaient l’Ifr 稜qiyya, ou Tunisie, d’où le schisme fut extirpé.Chassés de Kairouan, les ib ボites construisiren sous l’im m Ibn Rostem un autre empire autour de T hert, qui devait rester l’«état de gloire» de la secte vouée par la suite à la «voie du secret». Après la chute de T hert (910), les ib ボites se retirèrent dans le Sahara algérien et tunisien ainsi que dans l’île de Djerba; certains fondèrent dans les environs de l’oasis d’Ouargla divers établissements, dont Sedrata, qui fut, au Xe siècle, une capitale prospère. Chassés à nouveau, les ib ボites cherchèrent dans la Chebka du Mzab l’asile enfin inviolable. Le pays était situé en dehors des courants d’échanges sahariens, mais les Mozabites surent y attirer des caravanes et développer des palmeraies. Ainsi purent-ils survivre.L’isolement, l’interdiction faite aux femmes d’émigrer et l’exclusivisme religieux imposant une stricte endogamie ont fini par créer une ethnie au type physique bien reconnaissable. De petite taille, généralement corpulents, du moins les commerçants sédentaires, les Mozabites ont la tête ronde et rasée, le teint clair sous la courte barbe brune, les lèvres renflées, le nez fort, autant de traits caractéristiques que complètent certains détails vestimentaires. Ce sont des berbérophones: leur dialecte, qui appartient au groupe «zenatiya», ne s’écrit pas. Du fait de l’instruction coranique et de la nécessité du commerce avec leurs voisins arabophones, la plupart des hommes furent toujours bilingues.Une foi puritaineOn doit voir plus qu’un symbole dans le fait que les villes du Mzab sont construites autour d’une unique mosquée et que le minaret qui les domine est appelé le gardien de la cité: la société mozabite vit dans une atmosphère religieuse, et la pureté de la foi et de la morale est considérée comme la sauvegarde de la communauté.Sur le plan dogmatique, les Mozabites s’en tiennent au seul Coran qui, pour eux, a été créé par Dieu et représente la Parole même de Dieu. Ils l’enseignent donc avec une passion d’autant plus exclusive que leur doctrine invalide les prières dont le sens n’est pas parfaitement compris et que la «récitation» coranique est la Prière par excellence. Ils professent que Dieu ne saurait être vu, même dans le Paradis. L’austérité de cette foi et l’exaltation de la divinité expliquent peut-être que dévotions superstitieuses et pratiques magiques, longtemps prédominantes au Maghreb, leur soient demeurées étrangères, bien qu’ils n’ignorent pas les besoins rituels ni les cérémonies collectives. Les cimetières, particulièrement vénérés, sont le siège de réunions périodiques fort nombreuses et le centre des assises judiciaires.Sur le plan moral, rejetant la justification par la foi sans les œuvres, les Mozabites se montrent très attachés aux prescriptions de la Loi et à l’exercice des vertus positives. La communauté est seul juge des fautes de ses membres, hommes ou femmes, dont elle contrôle et sanctionne éventuellement tous les actes publics et privés par la tebria , sorte d’excommunication qui peut atteindre tout fidèle; elle exclut de la prière le coupable, le met hors de la vie publique, le contraignant à s’expatrier jusqu’au moment où l’expiation lui sera permise.Le puritanisme imposé par la collectivité a pu s’atténuer, mais le principe interventionniste s’est maintenu jusqu’à nos jours. À la décharge de ce système, certains ont fait valoir les nécessités de la survie du groupe: l’obligation pour les émigrés de revenir périodiquement assurait la continuation des familles et remettait les émigrés dans l’atmosphère du pays natal. D’autres auteurs ont admiré que cette société, où la charité est un devoir strict, n’ait point de miséreux: ils sont toujours pris en charge par un groupe ou par un quartier de la cité.Société et institutionsLa société mozabite, divisée en «ordres», distinguait les tolba – ceux qui font des études supérieures en sciences coraniques, les «clercs» – et les (‘awamm ), les gens du commun. L’égalité des hommes sous l’unique majesté de Dieu n’était point par là remise en cause. Des privilèges juridiques ou sociaux étaient reconnus aux tolba, mais ces derniers ne constituaient pas une caste sacerdotale ou un clergé. Ils devaient vivre dans le siècle, travailler, pratiquer l’ascétisme, non le mysticisme, refuser la richesse comme le dépouillement. L’ordre des tolba, qui comportait toute une hiérarchie allant des clercs majeurs aux clercs mineurs, ceux-ci divisés en ikhouan (frères) et en imesorda (ceux qui balbutient le Coran), comprenait non seulement les dignitaires de la mosquée et le cadi, mais aussi les maîtres d’écoles et jusqu’aux laveurs de morts, qui jouaient le rôle de censeurs des mœurs; les femmes étaient soumises de même à l’autorité des laveuses de morts, gardiennes vigilantes des règlements.Les «clercs» dirigeaient politiquement la communauté: le conseil restreint des i‘azz b n (reclus) composé de douze membres, qui détenait le magistère moral, entourait l’im m, l’autorité supérieure. Chaque cité avait le sien, mais le conseil ( ムal ャa ) de Ghardaïa avait une prééminence de droit. L’action des clercs portait surtout sur les sujets de dogme et de morale et consistait à définir des ittif q t (décisions), faisant convention. En matière pénale, ils prenaient l’avis des représentants des ‘awamm ou leur en abandonnaient la réglementation.Les «laïcs» disposaient en effet d’une assemblée des anciens les plus vénérés, les imoqranen . Cette djem ‘a profane ne siégeait point à la mosquée, mais sur la place du marché ou dans un cimetière. Après l’occupation du Mzab par la France, elle devint la principale assemblée délibérante, collaborant avec l’adjoint indigène nommé pour les tâches municipales et fiscales. Elle veillait désormais à la police locale, remplaçant une vieille institution, la djem ‘a des mekaryin .La société mozabite connaissait les oppositions de çoff , ou clans parfois géographiquement désignés (çoff gharbi , «clan de l’ouest»; çoff chargui , «clan de l’est»), parfois dénommés (les Aoulad ba Sliman et les Aoulad Ammi Aïssa). Cette division ne paraît renvoyer à aucune distinction d’origine ethnique, mais à une représentation immémoriale. En revanche, chaque groupe urbain distinguait les açil (les originaires) et les nazil (les hôtes), les premiers descendants des fondateurs de la ville, les seconds étant les nouveaux arrivants. Ces distinctions recoupaient parfois les précédentes.Les activités économiquesLes Mozabites exercent traditionnellement au Sahara des activités agricoles et commerciales; dans le Tell, ils sont exclusivement commerçants.L’entretien et l’arrosage des 270 000 palmiers-dattiers et des jardins des oasis exigent un labeur constant et pénible. L’agriculture ne fournit qu’une très faible partie des ressources et les Mozabites achètent la plupart de leurs denrées vivrières, y compris la viande. L’élevage, en effet, est presque inexistant; de ce fait, l’artisanat de la laine et la confection de tapis par les femmes jouaient un rôle secondaire.Les ressources essentielles proviennent depuis longtemps de l’émigration temporaire et des profits du commerce dans le Tell. Les jeunes hommes allaient s’employer en périodes régulières dans les boutiques ou les entreprises familiales installées au Maroc, en Tunisie et surtout en Algérie, où certaines tâches spécialisées (entreprises de balayage, de transports de matériaux), certains commerces (bouchers, fruitiers) leur étaient réservés.Dès le XVIIIe siècle, à Alger, les Mozabites détenaient le monopole des bains publiques, des boucheries et des moulins. Ils s’occupaient aussi du trafic des caravanes et de la vente des esclaves noirs. Pendant la période française, ils monopolisèrent 90 p. 100 de l’épicerie de détail et contrôlèrent une part notable du commerce des tissus et de la quincaillerie. Vers 1960, on comptait à Alger 1 489 entreprises mozabites, dont 729 épiceries. Quelque 6 000 Mozabites vivaient hors du Mzab et 70 p. 100 des revenus du pays provenaient alors de ce commerce du Tell et des loyers d’immeubles urbains qu’ils y avaient acquis.Les Mozabites, commerçants à la probité proverbiale, furent les premiers parmi les musulmans du Maghreb à assimiler les techniques commerciales modernes. Forts de leur solidarité confessionnelle et de leur assistance mutuelle, ils constituèrent des ententes commerciales efficaces et accumulèrent d’importants capitaux. Longtemps, leurs profits furent engloutis dans leur oasis, à maintenir une agriculture sans avenir. «Le Mozabite, disait-on vers 1900, est un âpre commerçant du Tell qui possède au Sahara une maison de campagne ruineuse.» Puis les capitaux furent réinvestis sur place, dans les villes du Nord: développement de nouvelles affaires, achat d’immeubles et capitalisme bancaire. Tout s’est passé comme si, une fois de plus, selon la remarque des sociologues protestants, le puritanisme avait engendré le capitalisme.L’industrialisation actuelle du Sahara, l’animation commerciale due à la prospection pétrolière, à la construction de gazoducs et d’oléoducs ont déjà eu leur répercussion sur les conditions de vie des populations et la transformation des mentalités. Pour la première fois, ce conservatoire archaïsant qu’était le Mzab se trouve confronté à la civilisation contemporaine: il est trop tôt pour dire s’il s’en trouvera condamné.Les Mozabites, pour exercer leurs activités, durent toujours en passer par les volontés des maîtres du pays: avant 1863, ils payaient des droits de protection aux nomades et, dans les villes du Tell, des redevances aux Turcs; ils versèrent ensuite aux Français un tribut annuel.En 1882, les autorités civiles décidèrent l’annexion du Mzab, «enclave vivant sous un régime de liberté illimitée du plus mauvais exemple». Dès lors, les Mozabites ne cessèrent de faire de l’opposition à la puissance coloniale et alimentèrent en pays d’islam une vigilante et parfois hargneuse critique. Ils se donnèrent même une presse qui, à partir des années 1930, fut assez ouvertement anti-française. Cette attitude explique partiellement le rapprochement, assez inattendu, des Mozabites et des oulémas réformistes. Les Mozabites aidèrent de leur argent et de leur influence la plupart des mouvements nationalistes algériens. Pendant la guerre d’indépendance, certains leaders militèrent dans le F.L.N. et virent ainsi la place de leur communauté consacrée dans l’Algérie nouvelle.
Encyclopédie Universelle. 2012.